J’ai lu il y a longtemps Les contes de la fée verte, me promettant de retrouver Poppy Z.Brite un jour ou l’autre. Vingt ans plus tard nous y voilà. Si vous n’avez pas encore lu Brite, sachez tout de même ce qui vous attend. La 4e de couverture, bien que brève, ne saurait être plus juste.
Andrew Compton, gay, tueur en série nécrophile, et accessoirement emprisonné pour vingt-trois meurtres, réussit une invraisemblable évasion et se réfugie aux États-Unis, où il rencontre au hasard d’une chasse un autre prédateur, Jay Byrne, gay, tueur en série nécrophage, et accessoirement riche héritier d’un empire industriel. Dans la moiteur de la Nouvelle-Orléans, Brite nous place ses personnages avec amour, nous plante patiemment le décor. Nous sommes dans les années 90, en pleine « peste gay ». Le milieu homosexuel en prend plein la poire entre la discrimination et ce nouveau fléau. Nous découvrons Tran, jeune vietnamien récemment chassé de chez lui, et son ex-amant Luke, écrivain atteint du SIDA qui hurle sa rage sur une radio illégale. Tran et Luke se sont aimés, et se sont séparés, la maladie ayant eu raison d’eux. Si Luke ne se remet pas de cette rupture, Tran tente de l’oublier et s’attache à Jay, sans se douter de ses goûts culinaires hors-norme. Lorsque Andrew rencontre Jay, c’est le début d’une histoire d’amour et de mort (chabada bada).
Jusque-là Brite ne nous épargne rien. Les mots sont crus, les faits sont choquants, les scènes de sexe et les récits de meurtre et de torture sont particulièrement intenses et horrifiques. Entre le cannibalisme de l’un, la nécrophilie de l’autre, et les ébats des uns et des autres, l’utilisation épisodique de la première personne contribue à nous immerger dans l’esprit d’un tueur, dans l’horreur de sa « normalité ». Tout est porté à l’excès, à l’image des fantasmes et des pulsions des deux tueurs. L’auteur ne se donne pas de limites, tout est dit. Le plus épatant, le plus extraordinaire, le plus confondant, c’est sa capacité à retranscrire l’horreur brute de manière poétique, et parfois même, j’ose le dire, délicate. Ce mélange entre le fond et la forme (et pourtant les mots eux-mêmes sont crus) rend l’ensemble troublant et fascinant. Sa plume prend le dessus sur l’abomination des faits décrits et fait passer la pilule. Le couple Tran-Luke est attachant, chacun se débat avec sa condition d’homosexuel vietnamien pour l’un, d’homosexuel sidéen pour l’autre. Le couple Andrew-Jay est quant à lui attachant à sa façon, par la fascination qu’il exerce sur le lecteur, par sa cruauté presque normale. Car ces deux-là sont parfaitement dénués de scrupules, seul leur plaisir compte, la satisfaction de leurs pulsions. Lorsque leur rencontre tant attendue à lieu, on franchit une nouvelle étape, on s’attend à encore plus d’horreur et de vice. Et Brite ne nous déçoit pas, loin de là, elle/il (à force de dire qu’elle se sentait homme dans un corps de femme, Poppy aurait fini par changer de sexe) y va à fond, c’est le cas de le dire. Donc si vous ne craignez pas les scènes de sodomie, de torture, de cannibalisme, allez-y, la plume de Poppy Z.Brite vaut bien quelques cauchemars.