Review of 'Le Grand Cahier - La Preuve - Le Troisième Mensonge' on 'Goodreads'
5 stars
LE GRAND CAHIER
Le grand cahier est un roman tout à fait déroutant sur bien des points. Composé de très courts chapitres, il relate l’arrivée et la vie de jumeaux confiés à leur grand-mère pendant la guerre. Chaque chapitre aborde un aspect différent de la nouvelle vie des deux jeunes frères. Écrits à la troisième personne du pluriel, les chapitres s’avèrent vite être des compositions écrites par les frères eux-mêmes, s’astreignant ainsi à divers exercices quotidiens de multiples natures, scolaires, pratiques, psychologiques, etc.
Le style est laconique, concis, sans fioritures, les enfants essayant d’écrire des compositions ne relatant que la vérité et les faits bruts.
Cette forme de récit peut surprendre, mais le rythme en devient soutenu, sans temps mort ni longueur. Cette objectivité et cette froideur donnent le ton général.
Livrés à eux-mêmes, ignorés par leur grand-mère à la triste réputation, les jumeaux mettent à profit leur intelligence peu …
LE GRAND CAHIER
Le grand cahier est un roman tout à fait déroutant sur bien des points. Composé de très courts chapitres, il relate l’arrivée et la vie de jumeaux confiés à leur grand-mère pendant la guerre. Chaque chapitre aborde un aspect différent de la nouvelle vie des deux jeunes frères. Écrits à la troisième personne du pluriel, les chapitres s’avèrent vite être des compositions écrites par les frères eux-mêmes, s’astreignant ainsi à divers exercices quotidiens de multiples natures, scolaires, pratiques, psychologiques, etc.
Le style est laconique, concis, sans fioritures, les enfants essayant d’écrire des compositions ne relatant que la vérité et les faits bruts.
Cette forme de récit peut surprendre, mais le rythme en devient soutenu, sans temps mort ni longueur. Cette objectivité et cette froideur donnent le ton général.
Livrés à eux-mêmes, ignorés par leur grand-mère à la triste réputation, les jumeaux mettent à profit leur intelligence peu commune pour survivre. Ils s’obligent à s’endurcir, s’imposant des « exercices » réguliers, souvent violents, physiques ou intellectuels, pour devenir peu à peu insensibles aux attaques du monde extérieur. Les enfants sont troublants, au-delà de leur intelligence on devine effectivement une absence totale de sentiment, bien illustrée par leurs compositions objectives, sans nuances. Certains épisodes relatés sont franchement écœurants, les jumeaux assistent à des scènes de zoophilie, sont victimes de pédophilie. Ces passages sont assez pénibles, mais heureusement sans manière et très brefs, et ce qui choque, c’est presque plus l’absence de réaction des enfants que ces scènes contre-nature pourtant déjà bien dérangeantes.
Les jumeaux, dont on ne connait pas les noms, continuent de retranscrire des scènes incroyables, peu imaginables. Leur absence de sentiments est de plus en plus troublante, les actes qu’ils commettent envers les animaux ou les humains sont à difficilement concevables et n’éveillent chez eux aucune émotion. Des enfants anonymes apparaissant comme des robots, sans âmes, endurcis, victimes de la guerre comme tant de populations innocentes.
Le contexte familial, lourd, (leur grand-mère est un bien beau personnage d’odieuse vieille), ajoute à l’horrible réalité de la guerre, ses privations, ses deuils, ses traîtrises. On peut comprendre le comportement des jumeaux comme une réaction, une adaptation à cette vie misérable privée d’amour et de tendresse.
La fin du volume marque un tournant dans leur vie, tournant qui sera pris dans La preuve.
Violent, glauque, glacial, pessimiste, noir et profondément douloureux, ce roman initiatique peut déranger mais on a du mal à le lâcher tant le récit reste atypique et captivant.
LE PREUVE
Vous l’aurez compris, je suis en train de dévorer cette trilogie qui réserve un sacré lot de surprises. Qu’attendre d’autre d’une histoire de jumeaux, si ce n’est des rebondissements ?
Nous avions quitté les jumeaux et leur grand cahier peu après la mort de leur grand-mère et leur séparation. Nous retrouvons dans La preuve l’un des frères, resté dans le village. Le récit est cette fois raconté par un narrateur extérieur, toujours dans un style épuré et concis. Lucas grandit, seul, sans son frère, et nous assistons à bien des chamboulements dans sa vie d’adolescent trop précoce.
Certains événements laissent voir un nouveau Lucas, ambivalent, prêt à noyer un nourrisson pour rendre servir à la mère en difficulté, et à s’attacher à ce bébé et à l’élever comme son fils.
Les jumeaux étaient des enfants malmenés par la vie, dénués de sens moral et de sentiments, Lucas est un adolescent qui peut faire preuve de maturité et être responsable. Sa personnalité est réellement troublante, on a du mal à se faire une opinion sur lui, il sort totalement des sentiers battus. Il n’a pas beaucoup voire pas de moralité, mais s’avère capable d’attachement et de générosité. Ce point peut aussi être sujet à débat car la psychologie du personnage reste très complexe et plusieurs interprétations seraient possibles.
Fascinant roman qui augure d’un dernier volume tout aussi déroutant. Joie !
LE TROISIÈME MENSONGE
Voilà le dernier tome la trilogie achevé et je suis abasourdie. Le style d’Agota Kristof reste inchangé d’un bout à l’autre des trois volumes, et pourtant elle réussit à insuffler à l’histoire une toute autre dimension.
Après les cahiers des jumeaux, et la vie de Lucas après le départ de son frère, nous voilà proche du dénouement, où l’on touche du doigt une vérité, qui, si elle n’est pas tout à fait limpide, nous éclaire tout de même sur bien des points de l’histoire.
Lucas et Claus, deux frères aux destins si éloignés, nous dévoilent une nouvelle version des faits. Tout est remis en cause, jusqu’à l’existence du frère jumeau.
Le récit passe de main en main, tour à tour Lucas devient Claus, qui devient Lucas. Et soudain une autre histoire apparaît, et l’on commence à faire des recoupements, et à se taper sur les cuisses en se disant « bon sang mais c’est bien sûr ! » (enfin presque car j’espère être plus élégante que ça)
L’intrigue change de visage et les jumeaux aussi. On tombe carrément en empathie en découvrant leur histoire. La froideur clinique de premier volume laisse place à l’émotion pure, l’histoire de Lucas et Claus est forte, triste, elle n’est que douleur, séparation.
Je n’en dirai pas plus sur ce que je qualifierai de chef-d’œuvre, car en dire trop gâcherait le plaisir de la découverte.t pourtant il y en aurait tant à dire…
Un grand moment donc !