(...) la SF est le genre le plus important pour notre époque, le plus libre et le plus puissant si tu veux interroger l'humanité et son futur. (...) c'est un outil fantastique pour penser et faire penser, pour faire de la politique intelligente et fine. Ma lecture du genre, qui vaut ce qu'elle vaut, est que la science-fiction a été dominée dans les cinquante dernières années par le cyberpunk et sa promesse indirecte ou souterraine d'émancipation des corps et des esprits par la technologie. Dès le début pourtant, et c'est le sens du suffixe « punk », les écrivains devinent déjà que ça va foirer, que le cyber comme augmentation de l'humain va être dévoyé, tordu, sali du dedans par les corporations et le capitalisme, par les pulsions de pouvoir de domination, la lâcheté et l'avidité, etc. Malgré tout, la promesse a été reprise par moultes entreprises de la Tech, les GAFAM en tête, par Apple par exemple, qui fait du « cyberpunk washing ». Ils ont préservé la promesse de libération par la techno, mais sans ce que ça implique de merde, de crasse, de dégradations, de perversions, etc. Ce n'est qu'une libération publicitaire, strictement individuelle. (...) La trahison de la promesses cyberpunk, son retournement en une immense machination de la dépendance, est le grand événement du XXIe siècle, bien plus important que toutes les guerres parce qu'elles structurent le quotidien de 6 ou 7 milliards d'individus dans tous les pays du monde.
(...) Si tu crois à la puissance libératrice de la science-fiction, cette trahison implique de faire émerger un autre paradigme. Et cet autre paradigme, à mes yeux, c'est le vivant, à la fois animal et végétal, les bactéries, les virus, les champignons autant que les biotopes, c'est notre rapport à renouer avec les rivières, la montagne, l'océan, les forces. J'appelle ça le biopunk, même si le mot sonne un peu schtroumpf.