Je ne vous apprends rien, Une place à prendre est le nouveau roman de JK Rowling, qui nous revient avec une histoire pour adultes, loin du monde de balais et de chapeaux pointus de Harry Potter. C’est aussi un pavé de 682 pages en vrai papier, très épais, un peu grossier, et pas spécialement agréable, avec des marges larges et aérées, et une taille de police pour le 3e âge. De quoi justifier sans doute le prix aux yeux de l’acheteur, oui parce que 24 euros le pavé tout même ! Mais ce n’est pas grave, ça nous fait 870 g à lire, soit 27,58 euros le kilo. Règle de base de l’édition : plus le livre est gros et lourd, plus le prix élevé semblera justifié aux yeux de la vache à lait du lecteur. Mon ancien patron appliquait cette règle, la qualité des textes en moins. Petit ou grand, le but d’un éditeur reste de vendre un maximum, mais en l’occurrence, et là c’est la cerise qui fait déborder le gâteau du vase, l’éditeur utilise un argument écolo en nous certifiant avoir utilisé du « papier à base de fibres certifiées », ce qui réduit l’empreinte carbone de ses livres. Et en utilisant moins de papier ça la réduirait pas encore plus ? Hein ? Je lis tellement peu de livres papier depuis 2010 que la chose m’a particulièrement outrée, choquée, enragée, révoltée, étonnée à la réception de cet engin. J’ai perdu l’habitude. Et on se plaint que les gens ne lisent pas. Comme c’est curieux ! D’un côté, vu la renommée de l’auteur et la gloutonnerie fébrile de ses millions de fans, qui sont autant d’exemplaires vendus de manière certaine, comment ne pas se montrer gourmand ? Ça s’appelle du marketing. Et je suis polie. Et ce n’est pas parce que j’ai reçu cet exemplaire en SP que je n’ai pas le droit de le dire. Donc à 24 euros un tas de feuilles et une couverture qui la ferait passer pour une intégrale du Petit dico d’aquí, je préfèrerais encore me rabattre sur l’epub, moins cher (quoique trop, encore !) et le confort en plus.
Bref, qu’en est-il de la qualité de l’œuvre de Rowling ? Faut-il être déçu, comme de nombreux fan(atiques) aveuglés qui s’attendaient à retrouver du Harry Potter (oui, le fan est parfois un peu demeuré, on a beau l’informer, il ne comprend pas toujours ce qu’on lui dit), ou bien est-ce un chef d’œuvre puisque de toute façon Rowling est un génie et que tout ce qu’elle écrit est automatiquement génial ?
J’ai pris le roman pour ce qu’il est, une étude mœurs dans un petit village anglais, écrit par un auteur dont j’aime déjà l’écriture. Il ne m’en fallait pas plus pour me titiller. On entre dans le vif du sujet très rapidement, avec le décès soudain de Barry Fairbrother. Dans la foulée, on découvre peu à peu une flopée de personnages hauts en couleur, évoluant dans un environnement où le paraître et la position sociale font toute la différence. Une exhaustive introduction des personnages nous immerge dans l’histoire. Rowling a pris sont temps, et un plaisir évident à la construction de Pagford et à la création de ses habitants. Elle nous plonge dans le quotidien des principaux protagonistes, et leur profusion pourrait sembler déconcertante, mais on accroche totalement ! Les liens entre eux nous sont décortiqués avec la plus grande précision, les relations parents-enfants ont une part importante, l’intrigue se met tranquillement en place tout en nous immisçant dans le quotidien des familles. Les différents personnages sont plus vrais que nature, nous avons vraiment là une galerie riche et surprenante, variée et fascinante. L’histoire de Pagford explique les motivations et les ambitions de certains de ses habitants. Rowling nous offre une histoire de rivalité(s) sur plusieurs niveaux. Pagford voudrait bien de débarrasser de ses quartiers pauvres et de ses habitants, mais c’est sans compter les efforts accomplis par Barry Fairbrother, ni la volonté de ses amis de poursuivre son œuvre. Une élection destinée à pourvoir son poste vacant pourrait changer ou détruire la vie de nombreux habitants.
Rowling ne se contente pas d’écrire un roman pour adultes, elle change radicalement de registre et ne nous épargne pas, car malgré quelques pointes d’humour ici et là, elle nous parle de misère, de drogue, de déchéance, mais aussi d’ambitions personnelles, de jalousie. La peur ou l’acceptation de l’autre est aussi un thème largement développé. Les enfants incompris ou mal aimés, les ados rebelles, les épouses déçues, les tragédies familiales liées à la drogue, l’abandon ou la misère, tout y est pour nous faire penser immédiatement à du Ken Loach. Rien de moins. Certaines scènes sont particulièrement sordides, les personnages incarnent le désespoir et la fatalité, la faiblesse ou le mal-être. Le rapport à l’autre, l’égoïsme, l’incompréhension constituent finalement le fond du roman. À mon sens Rowling réussit son « retour » en nous dépeignant le monde actuel à l’échelle d’une petite commune anglaise d’apparence irréprochable, avec le poids du passé et du mensonge. L’action n’est certes pas le centre du récit, le spectacle réside dans la construction méticuleuse des personnages et de leurs motivations. Un sacré bon moment quelque part entre Ken Loach et Balzac.