C’est à chaque fois une véritable délectation que la lecture d’un Dickens, mais là, ce roman dépasse mes espérances. Pip nous raconte sa vie depuis environ l’âge de sept ans, alors qu’il tombe sur un forçat évadé qui le pousse par intimidation à l’aider à trouver des vivres. Terrifié, Pip s’exécute, non sans passer par différents états psychologiques, le peur, la culpabilité, la soumission. On le découvre dans un environnement peu propice au bonheur. Sa sœur, qui se vante de l’élever “à la main” ne lui manifeste aucune tendresse. Le mari de sa sœur, Joe, forgeron de son état, lui apporte soutien, amitié et affection, mais n’est pas plus apte à se défendre que lui. Amené à rencontrer la curieuse miss Havisham et sa troublante fille adoptive, Pip sera vite fasciné par cette dernière, d’une beauté et d’une froideur égales. Ouvertement méprisé par Estella, il nourrira néanmoins pour elle un amour solide, sincère et durable. Le roman se scinde en deux principales parties. La seconde débute alors que Pip apprend d’un homme de loi qu’un mystérieux bienfaiteur souhaite le voir installé à Londres afin de parfaire son éducation et devenir un gentleman. Pip commence alors à nourrir de grandes espérances. Le jeune homme, une fois sorti de l’environnement de son enfance et de la pauvreté, verra son bien-aimé Joe d’un autre œil, toujours aimant, mais un peu honteux de son ignorance et de son manque d’éducation. Pip, déjà plus instruit que le forgeron, aura conscience de cet écart, et cette prise de conscience éveillera en lui un fort sentiment de culpabilité. Désormais libre, il se lie d’amitié avec le fils de son répétiteur, devient dépensier, s’offre un valet à qui il a du mal à trouver des occupations. Ignorant toujours l’identité de son bienfaiteur, ce qu’il sait et croit savoir alimente doublement ses espérances. Son amour pour Estella est toujours aussi fort, et bien qu’il ait conscience de l’absence de la jeune fille à son égard, il espère encore.
Dickens excelle dans la peinture de l’Angleterre du XIXème siècle. La misère, l’hypocrisie, la petitesse d’esprit des pauvres comme des nantis ne lui échappent pas. Lui-même issu d’une famille plus que modeste et ayant connu la misère avant d’accéder à la notoriété et l’aisance, tous les rangs sociaux lui sont familiers. Qu’ils soient principaux ou secondaires, tous les personnages sont fouillés, hauts en couleurs, nuancés. Il n’y a ni bon ni méchants, chaque protagoniste réserve des surprises, soit par son destin, sa psychologie, son comportement. Même le jeune Pip, que nous suivons sur plusieurs années, n’est pas dépourvu de “mauvais” sentiments. Comme lui, au fil de la lecture, nous avons quelques espérances le concernant, et son destin réserve bien des surprises et des rebondissements.
L’humour est aussi omniprésent chez Dickens. Certains personnages brillent par leur grotesque, d’autres par leur dignité sincère, d’autres encore par leur excentricité, ou même leur dualité. Le tout arrosé d’un humour à toute épreuve. La relation entre Pip et Joe est bouleversante, leur attachement réciproque est exemplaire. Les personnages de Dickens sont tous fascinants, les relations entre eux superbement dépeintes. L’aventure est aussi au rendez-vous. Forçats évadés, trahison, jeune orphelin au destin chaotique, une vieille riche proche de la sorcière, une beauté au cœur de glace, tout contribue à faire de ce roman un pur bonheur, un livre DÉVORABLE d’un bout à l’autre, grâce au style jubilatoire de Dickens, de sa parfaite connaissance de l’époque, des milieux sociaux, de la nature humaine. Un régal !!!