Dialectique du monstre

Nous suivons l'auteur dans sa découverte des textes et dessins de ce fonctionnaire pontifical à Avignon. Des textes tourmentés et des dessins sibyllins aussi beaux qu'étranges et novateurs. Nous aurons le contexte et l'histoire de ces œuvres puis l'autobiographie d'Opicino de Canistris. Nous croiserons Gregory Bateson, anthropologue, mari de Margaret Mead et ayant collaboré à l'essor de la cybernétique avec Norbert Wiener. En analysant cet ouvrage, son contexte et ce que cela révèle de l'état de leur auteur, Sylvain Piron nous dresse un portrait de l'époque et d'Opicino. Cette ouvrage est un journal intime, et si ce n'est pas nouveau à l'époque, celui-ci n'était pas destiné à être vu et lu par autrui. Car il est une sorte de psychothérapie avant l'heure. Opicino de Canistris innove, son œuvre est unique à plus d'un titre. De son savoir-faire en carte maritime, il superposera de manière révolutionnaire, lieux, personnages et mystique. Si des cartes étaient déjà affublées de monstres, de villes, lui ira jusqu'à une paréidolie hallucinante, transformant les mers en monstres et les continents en personnages et créatures. C'est un entremêlement multi-dimensionnel, le temps et l'espace, les espaces entre eux, la forme et le fond, la positif et le négatif et même une récursivité vertigineuse. On peut scruter la carte, mais la description nous dévoile des formes qui nous avaient échappées et qui surgissent. Tout cela montre une vision géniale, entre relevant du schizophrénique, et l'impression de révéler un ordre supérieur. Beaucoup reste indéchiffrable car lui seul en avait la clé. Il était même la clé et justement l'analyse de son histoire dans l'histoire explique en partie son fonctionnement et permet d'observer au moins par le trou de la serrure. L'exégèse graphique et textuelle passionnante de Sylvain Piron corrige les prémices des travaux précédents et va ainsi plus loin dans l'analyse. On pourra y voir une aliénation, à double sens, folie et dévouement à une Eglise, pétrie de contradictions morales. Les Spirituels fransciscains et même fra Dolcino, ne sont pas loin. Opicino ira de Pavie à Avignon, suivant la papauté. Il fuira dans la tourmente de la Lombardie, prise entre guelfes et gibelins, Jean XXII et Louis de Bavière du Saint-Empire. Outre ces affrontements, il y aura l'affermissement de l'Eglise et les débats en son sein. Ainsi, entre Dominicains et Franciscains sur la pauvreté et la propriété du Christ, toile de fond également de Le nom de la rose d'Umberto Eco. Je ne dévoilerais pas tout ce qu'a dévoilé l'auteur. Mais nous avons en postface, l'avis d'un psychiatre ainsi qu'un rebondissement. Certaines associations irrationnelles et coïncidences pourront agacer mais aussi évoquer Le pendule de Foucault, d'Eco également. On regrettera les «explications» psychanalytiques, l'auteur et le psychiatre les mentionne pour les démonter la plupart du temps ensuite. Mais pourquoi alors les évoquer, les jeux de mots de Lacan et autres devraient n'avoir plus droit de cité pour mieux les oublier, au contraire de l'oeuvre d'Opicino. Le livre comprend plusieurs des planches et une couverture qui s'avère en être une à déplier. Un bel objet.