Pendant des siècles, les esclaves afro-américains apprirent à lire en dépit d’obstacles extraordinaires, en risquant leur vie dans une entreprise qui, à cause des difficultés qu’ils rencontraient, demandait parfois plusieurs années. Nombreux et héroïques sont les récits de ces apprentissages. À quatre-vingt-dix-neuf ans, Belle Myers Carothers – interviewée par le Federal Writers’ Project, une commission créée dans les années trente et chargée d’enregistrer, entre autres, les récits personnels d’anciens esclaves – se rappelait avoir appris ses lettres en surveillant le bébé du propriétaire de la plantation, qui jouait avec des blocs sur lesquels figuraient les lettres de l’alphabet. En la voyant faire, le propriétaire l’avait frappée à coups de pied. Myers tint bon et continua d’étudier les lettres de l’enfant ainsi que quelques mots dans un abécédaire qu’elle avait trouvé. “Un jour, raconte-t-elle, j’ai trouvé un recueil de cantiques… et j’ai épelé «Quand je peux lire mon titre clairement». J’étais si heureuse de voir que je pouvais vraiment lire que j’ai couru partout le raconter aux autres esclaves.” Le maître de Leonard Black surprit un jour celui-ci avec un livre et le fouetta si sévèrement “qu’il écrasa ma soif de connaissance, et j’en abandonnai la recherche jusqu’après mon évasion”. Doc Daniel Dowdy rappelait que “la première fois qu’on vous prenait à essayer de lire ou d’écrire, on vous fouettait avec un cuir de vache, la fois suivante avec un chat à neuf queues et la troisième fois on vous coupait la première phalange de l’index”. Dans tout le Sud, il était courant que des propriétaires de plantations pendent tout esclave qui tentait d’apprendre la lecture aux autres.