Au cours de cette recherche sur le vote RN, j'ai tâché de me conformer à une règle à la fois analytique et déontologique: celle de toujours prendre au sérieux la parole des personnes que j'interrogeais. Prendre au sérieux leurs craintes, leurs doutes, leurs incertitudes, mais aussi leurs affirmations, parfois très tranchées, sur l'état du monde qui les entoure. L'objectif était ainsi de saisir à quoi tiennent les électeurs du RN, à quels modes de vie ils accordent de la valeur, à quels principes moraux ils sont attachés. Pour comprendre comment l'extrême droite se normalise, il faut comprendre sur quelle « normalité » s'appuient ses électeurs. Prendre au sérieux leurs paroles, c'est aussi ne pas partir du principe que ces électeurs «ne savent pas ce qu'ils font » lorsqu'ils votent pour le parti de Marine Le Pen, qu'ils se trompent dans leurs décisions électorales. Pour reprendre les termes de Stuart Hall, le « succès et l'efficacité [de l'extrême droite] ne reposent pas sur sa capacité à duper des gens naïfs », mais sur le fait que ce discours politique se déploie auprès d'expériences vécues et bien réelles et qu'il a sur celles-ci des « effets pertinents ».

— Des électeurs ordinaires by Félicien Faury