Grâce à l'intervention des clans, on se sert du béton pour faire disparaître les déchets, ce qui permet aux constructeurs de répondre aux appels d'offres en propоsant des prix dignes d'entreprises chinoises. Et les garages, les murs et les étages sont désormais por- teurs de poisons. Il ne se passera rien, jusqu'au moment où un ouvrier, sans doute maghrébin. inhalera les poussières et crèvera quelques années plus tard, persuadé que le destin est seul responsable de son sort.
Je sais et j'ai les preuves. Les entrepreneurs italiens qui gagnent viennent du béton. Ils font eux-mêmes partie du cycle du béton. Je sais qu'avant de se transformer en séducteurs de man- nequins, en propriétaires de yachts, en conque rants des marchés financiers, en magnats de la presse, avant tout ça et derrière tout ça il y a le béton, les sous-traitants, le sable, la pierre, les fourgonnettes remplies d'ouvriers qui travaillent la nuit et disparaissent au lever du jour, les écha faudages pourris, les polices d'assurance bidon.
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Et donc, quand je monte des marches, quand je traverse une pièce, je n'arrive pas à ne pas sentir. Parce que je sais. C'est une perversion. Et quand je me retrouve au milieu des vainqueurs, des meilleurs entrepreneurs, je me sens mal. Même si ces messieurs sont élégants, parlent d'un ton calme et votent à gauche. Je sens l'odeur de la chaux et du béton que dégagent leurs chaussettes en fil d'Écosse, leurs boutons de manchette Cartier, leurs bibliothèques bien remplies. Je sais.