Mallabori rated L'épée de l'ancillaire: 4 stars
L'épée de l'ancillaire by Ann Leckie (Les chroniques du Radch, #2)
Breq, la soldat qui fut jadis un vaisseau spatial, sert à présent celle qu'elle avait juré de détruire, la Maître …
Littératures de l’imaginaire (hard SF notamment), philo, et aussi de temps en temps des livres chiants de la littérature là, quand je découvre que finalement y en a des bien
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Breq, la soldat qui fut jadis un vaisseau spatial, sert à présent celle qu'elle avait juré de détruire, la Maître …
Il approchait du bourg de Damme, l’ancien port de Bruges où naguère, avant l’ensablement de cette côte, abordaient les grands navires d’outre-mer. Ces temps d’activité étaient révolus ; des vaches paissaient où on débarquait autrefois les balles de laine. Zénon se souvient d’avoir entendu l’ingénieur Blondeel supplier Henri-Juste d’avancer une partie des fonds nécessaires pour lutter contre l’envahissement par le sable ; ce riche à courte vue avait repoussé l’habile homme qui eût sauvé la ville. Cette gent avaricieuse n’agissait jamais autrement.
LES BOURGEOIS
Il était debout, pieds nus, dans la poussière, la chaleur et les relents du port, sous la maigre tente d’un petit café où quelques cliens s’étaient affalés sur des chaises, dans le vain espoir de se protéger du soleil. Son vieux pantalon roux descendait à peine jusqu’aux chevilles, et l’osselet pointu, l’arête du talon, les longues plantes calleuses et tout excoriées, les doits souples et tactiles appartenaient à cette race de pieds intelligents, accoutumés à tous les contacts de l’air et du sol, endurcis aux aspérités des pierres, qui gardent encore pays méditerranéen à l’homme habillé un peu de la libre aisance de l’homme nu. Pieds agiles, si différents des supports gauches et lourds enfermés dans les souliers du Nord… le bleu délavé de sa chemise s’harmonisait avec les tons du ciel déteint par la lumière de l’été ; ses épaules et ses omoplates perçaient par les déchirures de l’étoffe comme de maigres rochers ; ses oreilles un peu allongées encadraient obliquement son crâne à la façon des anses d’une amphore ; d’incontestables traces de beauté se voyaient encore sur son visage hâve et vacant, comme l’affleurement sous un terrain ingrat d’une statue antique brisée. Ses yeux de bête malade se dissimulaient sans méfiance derrière des cils aussi longs que ceux qui ourlent la paupière des mules ; il tenait la main droite continuellement tendue, avec le geste obstiné et importun des idoles archaïques qui semblent réclamer des visiteurs de musées l’aumône de l’admiration, et des bêlements inarticulés sortaient de sa bouche grande ouverte sur des dents éclatantes. — Il est sourd-muet ? — Il n’est pas sourd. Jean Démétriadis, le propriétaire des grandes savonneries de l’île, profita d’un moment d’inattention où le regard vague de l’idiot se perdait du côté de la mer, pour laisser tomber une drachme sur la dalle lisse. Le léger tintement à demi étouffé par une fine couche de sable ne fut pas perdu pour le mendiant, qui ramassa goulûment la petite pièce de métal blanc et reprit aussitôt sa station contemplative et gémissante, comme une mouette au bord d’un quai.
— Nouvelles orientales by Marguerite Yourcenar (Page 79)
Avant de lire Yourcenar, je me demandais quelle différence le style pouvait vraiment faire dans un livre. Les Nouvelles orientales ont répondu à cette question. Je n’avais jamais vu avant des phrases aussi ciselées et évocatrices.
Je n’aime pas autant toutes les nouvelles, mais toutes sont un régal à lire, ne serait-ce que pour la langue.
Déçu par ce livre. Le premier problème que je lui trouve c'est que les dialogues sonnent faux, ce qui rend difficile de trouver une profondeur aux protagonistes ; et ce n'est pas rattrapé par l'intrigue qui est très, très lente sans pour autant que ça fasse monter la tension ni se dénoue sur quelque chose de très intéressant. La seule qualité que je lui reconnais est que le vernis scientifique est décent et cohérent. Mais il ne reste toutefois qu'un vernis, qui justifie des phénomènes qui seraient sinon plus ou moins magiques du scénario ; mais les sciences dures ne sont pas en soi un sujet du livre. Sauf peut-être pour l'exobiologie et l'anthropologie où on a des passages assez cool.
@aura@books.theunseen.city très très bon, j'ai dit ce que j'en pensais un peu plus longuement dans une critique
Quelque part dans la forêt de Vyanthryr réside le Roi-Diseur, l'oracle légendaire. Dernier espoir d'une nation ravagée par la guerre …
La narratrice est une IA de vaisseau spatial qui se retrouve dans un corps humain. Elle poursuit un but personnel bien précis dans un immense empire implacable, dont le caractère totalitaire atteint des proportions difficilement égalables.
J’étais réticent à lire un space opera de plus, mais réduire La justice de l’ancillaire au fait qu’on y voyage dans l’espace serait comme réduire Les Dépossédés d’Ursula Le Guin au fait qu’on y parle de physique fondaamentale. Le livre est prenant dès les premières pages, bien écrit, et c’est un immense plaisir de voir se développer l’aventure humaine (si on peut dire) que vivent les protagonistes. Il y a également un fond philosophique solide et passionnant sur les IA conscientes (ma petite obsession personnelle), les régimes impérialistes et le sens de l’action individuelle dans une société tyrannique.
Un bijou !
J’ai beaucoup aimé les premiers chapitres de ce livre, dans lesquels Stiegler revient sur l’histoire de la philosophie depuis Descartes, et montre en quoi chacun a introduit une nouvelle façon de penser le problème principal de l’époque, celui de la nature de la réalité et de l’existence de certitudes. Et pour chacun, Stiegler explique en quoi, pour Nietzsche, il a fini par construire un nouvel « écran » qui permet de nier la vie et qui met essaie d’établir une base certaine, absolue, sur un mensonge ; car la seule chose qui est certaine c’est le « flux absolu » de la vie qui nous dépasse toujours. Et ce même si c’est pour nous une nécessité vitale de trouver des phases de permanence et de solidité dans ce flux, des repères fiables, quitte à nous les inventer s’ils n’existent pas tant notre besoin est grand. (Nietzsche va jusqu’à dire que …
J’ai beaucoup aimé les premiers chapitres de ce livre, dans lesquels Stiegler revient sur l’histoire de la philosophie depuis Descartes, et montre en quoi chacun a introduit une nouvelle façon de penser le problème principal de l’époque, celui de la nature de la réalité et de l’existence de certitudes. Et pour chacun, Stiegler explique en quoi, pour Nietzsche, il a fini par construire un nouvel « écran » qui permet de nier la vie et qui met essaie d’établir une base certaine, absolue, sur un mensonge ; car la seule chose qui est certaine c’est le « flux absolu » de la vie qui nous dépasse toujours. Et ce même si c’est pour nous une nécessité vitale de trouver des phases de permanence et de solidité dans ce flux, des repères fiables, quitte à nous les inventer s’ils n’existent pas tant notre besoin est grand. (Nietzsche va jusqu’à dire que la logique moderne est l’une de ces fictions…)
Je pense que j’ai apprécié le début du livre en bonne partie parce que j’ai appris pas mal de choses sur l’histoire de la philosophie du 17e au 19e siècle, en particulier autour de la métaphysique et du lien entre matière, corps et conscience — un sujet qui a toujours été une de mes obsessions personnelles.
Il y a également tout une démonstration de comment Nietzsche a voulu réhabiliter le corps et le mettre au centre de la philosophie — ça c’est un fait plutôt connu sur Nietzsche — mais aussi de comment, pour ce faire, il s’est appuyé sur les débats les plus actuels des biologistes de son temps. Notamment Nietzsche critique, à la suite du biologiste Wilhelm Roux, que le darwinisme de l’époque postule des individus tous identiques dotés d’un programme interne (qui peut changer parfois) et ne s’intéressent qu’à la pression de sélection, alors que Roux et Nietzsche arguent que l’individu lui-même est le résultat d’une “lutte des parties”, de toutes ses cellules entre elles pour survivre. Leur critique préfigure des nuances qui devront être apportées à la notion de « proramme génétique » avec tout ce qui est l’émergence de l’épigénétique, etc. (je sais plus lol j’y connais rien) et tout ça avant la découverte de l’ADN.
La dernière partie du livre m’a beaucoup moins intéressé, j’avoue. Ça parlait de l’héritage de Nietzsche et ça le confrontait avec d’autres auteurs comme Bergson ou Foucault… avec des interrogations sur les points aveugles de certains auteurs dont on peut faire une critique nietzschéenne, comme la philosophie de l’évolution ou les politiques de santé. La structure argumentative et les oppositions que l’autrice mettait en avant m’ont paru souvent forcées, mais c’est sans doute en bonne partie parce que je n’ai rien d’un universitaire en philo et que tout simplement je n’y retrouvais pas des choses qui m’intéressaient.
Je relirai peut-être ce livre si j’en ai la motivation un jour. En tout cas il m’a donné matière à penser sur plusieurs sujets, des pistes de nouveaux points de vue et surtout, il m’a permis une introduction relativement accessible — bon faut quand même se le farcir, le bouquin — à la pensée de Nietzsche, en tout cas plus facile que les livres de Nietzsche lui-même. Et ça c’est cool.
Cette série de romans commencée dans les années 90 m’a été conseillée par une amie ; j’ignorais totalement son existence.
C’était il y a quelques mois, depuis j’ai lu les trois premiers tomes et je progresse actuellement dans le quatrième. Mon avis : ce sont de bons romans, avec des aspects assez classiques du genre fantasy, mais tout de même quelques aspects qui le mettent à part ; l’auteur dévoile petit à petit un univers large et assez fascinant, qui garde malgré tout une part de mystère. Le style est plus moderne que le Seigneur des anneaux et, le scénario, même s’il n’y paraît pas à première vue, est moins manichéen.
Pour introduire un peu ce qui se passe (sans spoiler) : nous vivons dans un monde qui croit de façon quasi universelle en l’existence de la Roue du Temps, un phénomène qui reste mal défini mais qui consiste en …
Cette série de romans commencée dans les années 90 m’a été conseillée par une amie ; j’ignorais totalement son existence.
C’était il y a quelques mois, depuis j’ai lu les trois premiers tomes et je progresse actuellement dans le quatrième. Mon avis : ce sont de bons romans, avec des aspects assez classiques du genre fantasy, mais tout de même quelques aspects qui le mettent à part ; l’auteur dévoile petit à petit un univers large et assez fascinant, qui garde malgré tout une part de mystère. Le style est plus moderne que le Seigneur des anneaux et, le scénario, même s’il n’y paraît pas à première vue, est moins manichéen.
Pour introduire un peu ce qui se passe (sans spoiler) : nous vivons dans un monde qui croit de façon quasi universelle en l’existence de la Roue du Temps, un phénomène qui reste mal défini mais qui consiste en le fait que l’histoire du monde est divisées en Âges, le passage d’un Âge à l’autre étant causé par un évènement exceptionnel. Chaque Âge s’étend sur des millers d’années et, après un certain nombre d’Âges s’étendant sur un temps inimaginable, chaque Âge a lieu à nouveau, similaire mais en même temps différent. (Comme je vous avais dit : c’est pas forcément clairement défini). Il existe par ailleurs une force surnaturelle, le Pouvoir (« the One Power »), que certains sont capables de canaliser pour accomplir des actes prodigieux. On appelle ces humains capables de canaliser les Aes Sedai.
Il y a huit mille ans s’est terminé l’Âge des Légendes, dans lequel le Pouvoir canalisé par les Aes Sedai a créé mille merveilles dont les échos fabuleux retentissent encore aujourd’hui. Suite à un combat contre les forces de l’Ombre incarnées par Ba’alzamon (chacun évite d’utiliser son véritable nom, Shei’tan, de peur d’attirer son attention), les Aes Sedai ont vaincu ce dernier et l’ont enfermé à Shayol Ghul. Mais cette victoire a eu un prix : avant d’être emmuré dans sa prison, Ba’alzamon a corrompu la Source du Pouvoir, condamnant tous les hommes qui l’utilisent à la folie et à une mort atroce. Seules les femmes Aes Sedai sont épargnées par ce mal. De la folie des hommes Aes Sedai a résulté des cataclysmes sans nom, qui ont mené l’humanité au bord de l’extinction, jusqu’à la mort du dernier homme Aes Sedai, qui a clos pour toujours l’Âge des Légendes.
« The Wheel of Time » contient des éléments extrêmement typiques de l’heroic fantasy, comme :
Pour être honnête, tous ces clichés m’ont un peu gavé et je ne pensais pas accrocher de nouveau à une histoire de fantasy. Mais « The Wheel of Time » se démarque par plusieurs aspects. Loin des multiples races de Tolkien, les protagonistes de l’histoire sont des humains (si l’ont met de côté les créatures de l’Ombre qui elles sont mauvaises par principe, sur ce point on reste dans le cliché). Ces humains s’opposent entre eux et se font la guerre, parfois s’allient ; l’humanité est seule responsable de son destin.
De façon assez tolkienesque (et surtout très chrétienne) les forces du Mal sont incarnées et agissantes, mais il n’y a pas de camp du Bien ; l’humanité doit se débrouiller seule avec les outils qu’elle a à disposition. Il est parfois fait mention d’un Créateur, mais celui-ci ne semble pas agir sur le destin des humains. On retrouve donc un manichéisme assez extrême. Mais il y a aussi une tension à l’intérieur de l’humanité elle-même, avec la séparation entre les hommes et les femmes Aes Sedai. Il y a consensus parmi les femmes Aes Sedai pour éliminer à vue les hommes capables de canaliser le Pouvoir. L’histoire prend son temps pour développer cette tension et ses conséquences sur de nombreux tomes.
En somme, difficile de définir ce qui fait le charme de cette série. Impossible d’ignorer les références et l’inspiration chrétienne de l’univers — l’ennemi de l’humanité s’appelle littéralement Satan — mais en même temps il n’y a ni culte, ni prières, ni miracles (je ne compte pas l’utilisation du Pouvoir par les humains, qui peut être utilisé pour le meilleur comme pour le pire). Seulement des humains qui essayent de se débrouiller avec le bordel dans lequel ils sont plongés. Le tout sur un fond d’éternel retour avec des Âges qui se succèdent et tombent dans l’oubli et des prophéties. Le résultat de tout ça est une série de romans qui n’a pas changé ma vie, mais qui est bien écrite dans le style comme dans l’histoire et que j’ai plaisir à suivre.